BREF HISTORIQUE DU POLYGRAPHE
Depuis l'aube de la civilisation, l'humanité a cherché des moyens afin de distinguer la sincérité du mensonge chez les individus soupçonnés d'avoir commis des actes fautifs. Diverses techniques innovatrices pour la vérification de la vérité et la détection du mensonge ont été essayées au fil des siècles, beaucoup de celles-ci étant ridicules et cruelles. Malgré leur primitivité, chaque technique était fondée sur l'hypothèse qu'une certaine forme de réaction physiologique se produisait chez une personne lorsqu'elle fut confrontée avec certains stimuli relativement à un événement spécifique sous enquête, et que cette réaction physiologique serait, à son tour, manifestée dans certains symptômes externes reconnaissables qui étaient considérés comme un signe de la sincérité ou de la déception.
La Polygraphie — la science de la vérification de la vérité fondée sur des analogues psychophysiologiques — a à peine 100 ans.
En 1730, le romancier britannique Daniel Defoe a écrit un essai intitulé << An Effectual Scheme to the Immediate Preventing of Street Robberies and Suppressing all Other Disorders of the Night >> dans lequel il avançait que prendre le pouls d'une personne louche était une méthode pratique, efficace et humaine pour déterminer la vérité ou le mensonge. Il s'agissait d'une des premières fois que la science médicale fut suggérée comme instrument pour lutter contre la criminalité.
En 1878, la science est venue à l'aide du chercheur de vérité pour la première fois au cours de la recherche du physiologiste italien Angelo Mosso. À cette époque, Mosso a utilisé un instrument appelé un pléthysmographe dans sa recherche sur l'émotion et la peur chez les suspects lors d'un interrogatoire afin d'étudier les effets de ces variables sur leur activité cardiovasculaire et respiratoire. Il a étudié la circulation sanguine, les modes respiratoires et comment celles-ci changeaient sous l'effet de certains stimuli. L'utilisation du pléthysmographe a révélé des ondulations périodiques dans la pression sanguine d'une personne causées par le cycle respiratoire en raison de certains stimuli. Angelo Mosso était le premier scientifique à faire rapport sur des expériences au cours desquelles il avait observé que la mode respiratoire d'une personne changeait sous certains stimuli, et que ce changement, à son tour, causait des variations dans leur pression sanguine et leur pouls.
Quoique ce n'était pas pour but de détecter le mensonge, Sir James Mackenzie, M.D., a construit le polygraphe clinique en 1892, un instrument pour être utilisé lors des examens médicaux avec la capacité d'enregistrer simultanément des tracés ondulés des pouls vasculaires (radial, veineux et artériel), par voie d'un stylus sur un tambour rotatif de papier fumé.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, aucun appareil de mesure pour la détection du mensonge n'avait été utilisé. La première utilisation d'un instrument scientifique visé à mesurer les réponses physiologiques à cette fin était en 1895 lorsque le médecin, psychiatre et criminologue italien, Cesare Lombroso, a modifié un instrument existant appelé un hydrosphygmographe et l'a utilisé lors de ses expériences afin de mesurer les changements physiologiques dans la pression sanguine et le pouls d'un suspect lorsqu'il fut interrogé par la police.
Notamment, ce premier instrument de Lombroso pour mesurer la pression sanguine et le pouls est similaire au composant du cardiosphygmographe du polygraphe moderne. Quoique Cesare Lombroso n'a pas inventé l'hydrosphygmographe, il fut accordé la distinction d'être la première personne à l'avoir utilisé avec succès pour déterminer l'honnêteté ou la déception des suspects et, à quelques reprises, a utilisé l'hydrosphygmographe dans des cas concrets pour aider la police avec l'identification des criminels.
En 1906, Sir James Mackenzie a amélioré son polygraphe clinique de 1892 lorsqu'il a inventé le polygraphe clinique à l'encre avec l'aide de Sebastien Shaw, un horloger de Lancashire, en Angleterre. Cet instrument utilisait un mécanisme d'horlogerie pour les mouvements de papier et de marqueurs et produisait des enregistrements à l'encre des fonctions physiologiques qui étaient plus facile à acquérir et à interpréter. Fait intéressant, on a écrit que le polygraphe moderne n'est vraiment qu'une modification du polygraphe clinique à l'encre du docteur Mackenzie.
En 1914, le psychologue italien Vittorio Benussi a découvert une méthode pour calculer le quotient du temps de l'inhalation à l'exhalation comme moyen de vérifier la vérité ou de détecter le mensonge. À l'utilisation d'un pneumographe — un appareil qui enregistrait les modes respiratoires d'une personne — Benussi a fait des expériences relativement aux symptômes respiratoires du mensonge. Il a conclu que la réaction mensongère engendrait un changement émotif au sein d'une personne, ce qui se traduisait par des changements au niveau respiratoire indicatifs du mensonge.
Le docteur William Moulton Marstan, un avocat américain et psychologue, est crédité avec l'invention d'une forme primitive du détecteur du mensonge lorsqu'il a dévélopé, en 1915, le test de la pression artérielle systolique discontinuée, qui deviendrait, par la suite, un composant du polygraphe moderne. Cette technique du docteur Marstan utilisait un brassard de tensiomètre standard et un stéthoscope pour prendre les lectures intermittentes de la pression artérielle systolique d'un sujet lors d'un interrogatoire dans le but de détecter le mensonge.
En 1921, John A. Larson, un psychologue canadien à l'emploi du Service de police de Berkeley, en Californie, a construit ce que bon nombre considère à être l'appareil original du détecteur de mensonge lorsqu'il a ajouté l'item de la fréquence respiratoire à celle de la pression sanguine. Il a nommé son instrument le polygraphe, un mot provenant de la langue grecque et signifiant plusieurs écrits parce que l'instrument avait la capacité de lire plusieurs réponses psychologiques en même temps et de documenter ces réponses sur un tambour rotatif de papier fumé. Utilisant son polygraphe, John A. Larson était la première personne à mesurer et à enregistrer continuellement et simultanément le rythme cardiaque, la pression sanguine et les variantes respiratoires d'une personne lors d'un interrogatoire. Son polygraphe a été largement utilisé, et avec beaucoup de succès, dans les enquêtes criminelles.
En 1925, Leonarde Keeler, qui avait acquis de l'expérience de première main dans les interrogatoires polygraphiques alors qu'il avait travaillé avec John A. Larson au Service de police de Berkeley, a oeuvré afin de mettre au point un polygraphe qui utilisait des plumes à l'encre pour enregistrer les changements relatifs dans la pression sanguine, le pouls et la fréquence respiratoire, éliminant ainsi le besoin de fumer le papier et de le préserver en l'enduisant de gomme laque.
En 1926, l'appareil polygraphique de Keeler est apparu sur le marché comme le nouveau et amélioré détecteur de mensonge, une version améliorée du polygraphe de John A. Larson.
In 1938, Leonarde Keeler a de nouveau amélioré le polygraphe lorsqu'il a ajouté un troisième composant physiologique de mesure pour la détection du mensonge — le psychogalvanomètre — un composant qui mesurait le réflexe psychogalvanique d'une personne, signalant ainsi la naissance du polygraphe tel que nous le connaissons aujourd'hui.
En 1939, Leonarde Keeler a fait breveter ce qui est considéré comme le prototype du polygraphe moderne—le Keeler Polygraph. Aujourd'hui, Leonarde Keeler est connu comme étant le père du polygraphe.
En 1947, John E. Reid, un avocat de Chicago, Illinois, a dévélopé le Control Question Technique (CQT), une technique polygraphique qui incorporait des questions de contrôle (comparaison) qui visaient à être suscitant émotionnellement pour les personnes sincères et moins suscitant émotionnellement pour les personnes trompeuses que les questions pertinentes. Le Control Question Technique (CQT) a remplacé le Relevant/Irrelevant Question Technique (RIT) qui utilisait des questions pertinentes ou non pertinentes lors d'un examen polygraphique. Le Reid Control Question Technique s'est révélé comme étant une percée majeure dans la méthodologie polygraphique.
En 1948, Leonarde Keeler a fondé la première école mondiale de polygraphie — le Keeler Polygraph Institute — à Chicago, Illinois.
En 1960, Cleve Backster, s'appuyant sur le Reid Control Question Technique, a dévélopé le Backster Zone Comparison Technique (ZCT), une technique polygraphique impliquant principalement l'altération de la séquençage des questions de John Reid.
Cleve Backster a également introduit un système de quantification des tracés polygraphiques, rendant l'évaluation de ceux-ci plus objective et scientifique qu'auparavant. Ce système d'évaluation numérique des données physiologiques obtenues des tracés polygraphiques a été adopté comme procédure standard dans le domaine de la polygraphie.
Depuis 1962, l'étude sur l'utilisation des ordinateurs dans la détection physiologique du mensonge a progressé à travers de multiples phases.
À la fin des années 1970, le docteur Joseph F. Kubis, de l'Université de Fordham à New York City, était le premier chercheur à utiliser des applications informatiques potentielles pour les fins d'analyse des tracés polygraphiques.
Au cours des années 1980, de la recherche a été effectuée sur la polygraphie informatisée à l'Université de l'Utah par les docteurs John C. Kircher et David C. Raskin et, en 1988, ces derniers ont dévélopé le premier Computer Assisted Polygraph System (CAPS), qui incorporait le premier algorithme à être utilisé pour l'évaluation de données physiologiques obtenues à des fins diagnostiques.
En 1992, le polygraphe a fait son entrée officielle dans l'ère informatique.
En 1993, des statisticiens de l'Université Johns Hopkins Applied Physics Laboratory au Maryland, ont complété un logiciel appelé PolyScore, qui utilisait un algorithme mathématique sophistiqué pour analyser les données polygraphiques afin d'estimer une probabilité du niveau de mensonge ou de la sincérité d'un sujet.
PolyScore 3.0 Polygraph Software fut dévélopé en analysant les données des examens polygraphiques administrés dans 624 cas criminels réels dans lesquels 303 suspects étaient véridiques et 321 suspects étaient mensongers.
En 2003, PolyScore 5.1 Polygraph Software fut dévélopé en analysant les données des examens polygraphiques administrés dans 1 411 cas criminels réels fournis par le Department of Defence Polygraph Institute des États-Unis pour fins d'étude et de comparaison.
PolyScore est un algorithme pour l'évaluation des tracés polygraphiques qui utilise la probabilité statistique pour arriver à la véracité ou à la déception. Il a été démontré que les algorithmes validés ont excédé 98 p. 100 dans leur exactitude pour quantifier, analyser et évaluer les données physiologiques obtenues des examens polygraphiques administrés dans les cas criminels réels.
En 2003, le Department of Energy des États-Unis a commandé une étude sur les preuves scientifiques du polygraphe auprès du National Academy of Sciences. Pour ce faire, un comité d'examen a passé au peigne fin les preuves existantes dans la littérature de la recherche polygraphique et n'a pas effectué de nouvelles recherches en laboratoire ni sur le terrain, car tel que rapporté par le comité, les conditions réelles sont difficiles — voire impossible — à répliquer dans une simulation des lieux du crime ou en laboratoire afin d'évaluer l'efficacité du polygraphe.
Le comité d'examen du National Academy of Sciences a conclu que, bien qu'il peut y avoir des techniques de remplacement à l'épreuve polygraphique, aucune ne peut surclasser le polygraphe et aucune ne semble prometteuse de supplanter le polygraphe dans un proche avenir.
Résister à plus d'un siècle de recherche, de dévélopement et d'utilisation généralisée, l'examen polygraphique demeure le moyen le plus efficace pour vérifier la vérité et détecter le mensonge.
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